Réflexions pour les professionnels qui accompagnent la naissance

Réflexions pour les professionnels qui accompagnent la naissance

Par Ludivine Baubry

Photo by Ahmed Saffu on Unsplash

Aujourd’hui, alors que l’interventionnisme médical autour de la naissance semble bien au-delà des recommandations officielles1, on peut voir un phénomène, certes encore timide, se répandre : la volonté des familles de faire place dans leur vie à une naissance physiologique2.

 

Même si la grande majorité des femmes accouchent en maternité sans remettre en cause la gestion médicale qui laisse peu de latitude, un petit pourcentage construisent d’autres projets d’enfantement : salle « nature » des maternités, accompagnement par une doula (accompagnatrice de naissance) en plus du suivi médical, accompagnement global par une sage-femme libérale ayant accès au plateau technique de la maternité, accouchement à domicile avec une sage-femme choisie, maison de naissance dans les endroits où elles existent…

Si vous êtes un professionnel qui gravitez autour des familles durant la grossesse (de santé, para-médical, accompagnant en périnatalité…), peut-être soutenez-vous déjà les familles qui ont le souhait d’un enfantement naturel. Peut-être avez-vous l’envie de prendre part à l’élan qui consiste à démystifier l’accouchement, tout simplement parce que vous êtes aussi mères, pères, hommes et femmes. Pour aider les familles qui souhaitent accoucher autrement que sous l’omnipotence médicale ou « semer des graines » chez celles qui se questionnent ou qui n’ont pas d’information sur le sujet, voici quelques pistes :

  • Aider la femme à avoir confiance en elle et en son bébé (permettre d’atténuer les peurs, honte et culpabilités) en facilitant le fait qu’elle puisse être à l’écoute de son autorité intérieure.Nous n’avons jamais eu autant d’outils de diagnostic et de possibilités d’interventions durant la naissance. Pourtant, les femmes continuent d’avoir peur car elles ont perdu la confiance en leurs capacités à donner naissance. Or, la femme a tout en elle pour mettre au monde son bébé et son placenta. Pour que les femmes enfantent facilement, c’est notre rôle d’encourager cette confiance en elles. Commençons par leur transmettre que la naissance est un processus biologique sécuritaire et normal (pas un acte médical) et qu’il peut être vécu de manière agréable physiquement et émotionnellement. Toute femme qui enfante est traversée par une dynamique hormonale fiable qui la mène à l’enfantement de manière efficace, si tenté que des interventions extérieures ne viennent perturber cette dynamique.
    De leur côté, les bébés ont la force de naître et savent comment faire (peut-on parler d’une forme de sagesse biologique?). Ils ont de nombreux réflexes innés pour y arriver. La naissance est le prolongement de la grossesse, le bébé a eu la force de grandir, il a la force de naître, il connaît le chemin car il est programmé génétiquement pour cela.

    Nous-même devons faire confiance au bébé et à la femme, tout simplement en pensant que l’enfantement est l’aboutissement d’une grossesse. La bébé a grandi in-utéro, le corps de la mère lui a apporté ce qu’il fallait pour cela, sans réfléchir, tout était bien organisé. Personne ne peut remettre en cause cela. Pour la naissance c’est la même chose. Pourquoi le corps du bébé et de la mère ne sauraient-ils plus comment faire tout à coup ? Le bébé envoie des signaux au corps de la femme qui réagit par un relâchement d’ocytocine qui fait contracter son utérus, ce qui permet au bébé de se mettre en route vers la « grande glissade ». C’est un bal bien orchestré. Une partie de la naissance revient à la mère, une partie au bébé.

  • Transmettre que la grossesse et la naissance ne sont pas des pathologies. La grossesse est un état et la naissance un passage, qui pour une grande majorité des femmes ne sont pas dangereux.L’OMS considère que 85 à 90 % des naissances ne comportent pas de risques et peuvent se dérouler de manière physiologique, sans intervention médicale. (En France, 99 % des naissances ont lieu à l’hôpital et environ 90 % d’entre elles sont médicalisées).

    Nous évoluons dans un monde où la naissance est perçue comme un moment où la femme et le bébé flirtent avec la mort. L’expérience de l’enfantement est montré et décrit par les médias comme une situation dramatique dans laquelle le pire peut arriver à tout moment et montre des femmes et des bébés « sauvés » par des médecins. Ce qui est paradoxal, c’est que plus nous avons de possibilités d’interventions médicales fiables à notre disposition et plus l’enfantement semble vécu comme un acte dangereux.

    Nous sommes depuis plusieurs décennies dans l’air de la standardisation des naissances, c’est-à-dire que les protocoles sont les mêmes pour chaque femme, chaque bébé, chaque naissance. L’uniformisation des prises en charge, la systématisation de certains actes médicaux entraîne des complications de santé parfois graves pour les femmes et les bébés. La technologie médicale n’est plus au service de l’humain quand elle n’est pas utilisée à bon escient.

    Contrairement aux idées reçues, les avancées technologiques en médecine ont en réalité entraîné l’augmentation de complications obstétricales et pas leur diminution. Dans les endroits du monde où les femmes sont autorisées (et s’autorisent) à donner naissance de manière plus naturelle, l’issue pour la mère et le bébé est plus favorable (santé de la mère et du bébé, lien, taux d’allaitement, vécu de l’accouchement par la mère et récupération après l’accouchement, sentiment de compétence vis-à-vis du bébé…).

  • Examiner avec les familles le fait que le bon déroulé de l’enfantement est aussi le fruit de leurs croyances personnelles et leur proposer de visiter leurs croyances limitantes (passer en revue leurs croyances sur la naissance, proposer des visualisations dans lesquelles la famille se voit vivre le type de naissance qu’elle désire, passer du temps en famille durant la grossesse pour nourrir les croyances positives, éviter les personnes qui ne les soutiennent pas leur projet de naissance…).

 

  • Rappeler que l’enfantement fait partie de la sexualité de la vie de la femme, du couple, ce qui en fait un événement intime. Les femmes qui enfantent ont besoin des mêmes conditions de respect, de sécurité et d’intimité que lors de la conception de l’enfant. Lorsque l’accouchement est surveillé et contrôlé à chaque instant, la puissance de cet événement sexuel n’y est pas respecté ni célébré.

 

  • elcodigodebarras / Pixabay

    Ce qui aide beaucoup les familles, c’est de proposer la vision de la valeur symbolique de la naissance comme incarnant un rite de passage pour la femme, les parents (Isabelle Challut, infirmière au Québec parle de « réenchantement » de la naissance et de la maternité). Beaucoup de femmes ayant vécu un accouchement physiologique parlent d’une seconde naissance pour elles-mêmes et témoignent que leur vie de femme n’est plus la même après cela. Cette expérience spirituelle intense, comme certaines la décrivent, est un chemin initiatique vers soi, une expérience offerte d’évolution personnelle et bien sûr une étape importante dans le processus qui permet de devenir mère. En cela, la naissance peut être physiquement et émotionnellement épanouissante.

    L’expérience de l’accouchement physiologique réveille la facette instinctive de la femme, une partie d’elle-même plus sauvage émerge. Au jour où la technologie médicale a pris la place des rituels et de la transmission entre femmes dans les différents passages de leur vie, de plus en plus de couples se sentent appelés vers cette « resacralisation » de la naissance, en réalisant qu’elle ne peut se limiter à un acte médical ou biologique. Ils ressentent l’impact que cela aura sur leur vie et celle de leur enfant. Plonger au cœur de soi en accompagnant son enfant à naître, trouver ensemble la route vers la naissance est une expérience initiatique et transformatrice pour l’homme et la femme qui les relie à la puissance de la force de vie. « La femme qui enfante explore un espace de tumulte et de puissance, de peurs et d’abandon, de joie et de douleur. Elle va mourir à son ancienne vie et renaître » Isabelle Challut. Rituels de femmes pour réenchanter la maternité.

  • Permettre aux parents d’appréhender différemment un sujet préoccupant : la douleur au cours de l’enfantement. L’idée n’est pas de nier la douleur ni de prendre position sur les moyens que chacun se donne pour l’accueillir. Même si l’enfantement (quand celui-ci est préservé) a toujours été un processus simple, il n’est pas toujours facile à traverser physiquement. Se poser des questions sur les raisons et le sens de la douleur permet de ne pas l’appréhender comme une épreuve insurmontable et subie.La première chose peut être de transmettre aux familles que certains environnements et conditions rendent l’expérience plus facile ou plus difficile en terme de douleur. Ensuite, que chacun la vit à sa manière, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de bonne ou mauvaise manière de la vivre. Notre culture, le rapport à la douleur dans notre famille, le contexte religieux, la société dans laquelle nous vivons, notre niveau de stress, les réactions de l’entourage, influencent la façon dont nous la percevons, dont nous l’interprétons et donc le sens que nous lui donnons. La femme commence dès la fin de la grossesse à ressentir des contractions utérines qui entraînent des modifications du col, souvent accompagnées de sensation de pesanteur car le bébé appuie vers le bas. La sensation de ces contractions se modifie durant le travail et devient de plus en plus intense. Dans la plupart des cas, cette montée de l’intensité est très progressive et la femme a le temps de s’habituer, de l’apprivoiser, pallier par pallier.

    Biologiquement, la douleur est « un phénomène complexe qui agit comme un signal d’alerte indispensable car il entraîne des réactions protégeant notre intégrité corporelle ». La localisation de la douleur et sa perception varient selon les femmes (col, reins, cuisses, bassin) et selon les phases de l’enfantement. Elle se situe généralement dans la partie du corps de la femme qui est le plus en tension, indiquant alors l’endroit à relâcher, à ouvrir. Elle sert de guide à la femme qui vit une naissance physiologique. Une mère témoigne dans le livre de Maîtie Trélaün, J’accouche bientôt et j’ai peur de la douleur : « la douleur est un itinéraire, les contractions des balises, une aide précieuse pour ne pas m’égarer en chemin ». La douleur accompagne la femme pas à pas dans son processus d’ouverture pour laisser passer son bébé. Elle a aussi l’avantage de renforcer la femme dans ses compétences afin de se sentir capable d’accompagner son enfant dans la vie.
    N’oublions pas de mentionner aux femmes qu’elles sécrètent lors de l’enfantement un taux d’ocytocine et d’endorphines important qui soulage la douleur (analgésiques naturels), la rende acceptable, favorise la détente lors des pauses entre les contractions, génère le courage et diminue les peurs. La femme est entraînée dans une spirale hormonale qui permet le lâcher-prise et l’ouverture du bassin (à condition que rien ne la ramène à l’extérieur, qu’elle se sente en sécurité, en confiance et qu’elle ne sécrète pas trop d’hormones de stress).

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Quand la femme quitte son néo-cortex elle déclenche le processus involontaire de l’enfantement, géré par son cerveau primitif. Elle trouve alors ses solutions face à la douleur car elle peut agir de manière instinctive (respiration, sons, positions…), elle peut trouver ce qui l’aide à l’accepter, à « plonger dedans ». Elle sait qu’un moment de repos salvateur viendra après chaque vague d’intensité, dont le sens est d’accompagner la vie qui naît. Plus la femme se laisse emporter par ces vagues et plus la naissance sera simple et rapide. Il n’est question ni d’affronter, ni de maîtriser. Dans le ressenti des femmes qui décrivent cette expérience, il s’agit d’ailleurs plus d’une notion d’intensité que de douleur, les deux notions semblant être confondues dans nos représentations. Douleur et souffrance sont deux ressentis bien distincts.

Parfois, des résistances émotionnelles liées aux peurs, plus rarement à des obstacles mécaniques, peuvent transformer la douleur en souffrance morale qui fait sortir la femme sort de la physiologie (alors même qu’il n’y a pas de pathologie). La souffrance morale est alors subie et la coupe de ses ressources, car hormonalement l’angoisse fait sécréter des hormones de stress qui font céder à la panique et nous mettent dans l’impasse. La douleur de l’enfantement de son côté entraîne des sécrétions d’hormones du lâcher-prise qui facilitent l’évolution du travail. Proposer une aide médicale extérieure pour traverser la souffrance (péridurale par exemple) est alors justifié pour éviter les séquelles psychologiques qui peuvent découler d’un accouchement traumatique.

  • Utiliser un vocabulaire humain et adapté qui soutient toutes les idées développées précédemment.Les termes médicaux pour décrire l’accouchement sont utilisés par les professionnels et par les familles elles-mêmes. Dans les cours de préparation à la naissance, on parle par exemple de pré-travail, travail, dilatation, expulsion, poussée, délivrance…terminologie mécanique qui peut être utile mais non suffisante (trop réductrice). Elle renseigne assez peu sur la réalité et les subtilités vécues par les femmes qui enfantent et entretient la vision de l’accouchement comme un acte médical, normé et uniforme. Nous ne pouvons pas découper l’accouchement en étapes mécaniques et linéaires qui nient l’existence de l’enfantement comme un processus évolutif et continu, comme un enchaînement d’espaces merveilleusement programmés par la nature humaine, une série d’adaptations pour la mère et le bébé. L’emploi d’un vocabulaire plus imagé peut se révéler plus fidèle à ce qui se passe dans le corps et le cœur des femmes. Cela participe à transformer l’image que les professionnels et les familles se font de l’accouchement physiologique, à prendre en compte les différentes étapes que la femme traverse avec une perception plus juste.

    Tout d’abord, nous pouvons commencer par utiliser le terme « enfantement » plutôt qu’accouchement. Dans « accouchement », il y a le mot « couche » qui renvoie l’image de la position allongée sur le dos, les pieds dans les étriers, que subissent les femmes lors de l’accouchement (position la plus anti-physiologique pour faire descendre le bébé et qui, de surcroît, place la femme dans un statut d’impuissance). Le mot « enfanter » traduit davantage la capacité de la femme à mettre au monde son enfant, à être l’actrice principale.

    Genty / Pixabay

    Ensuite, vous pouvez prendre connaissance de la métaphore décrite par Whapio Diane Bartlett du vortex de la naissance. L’idée du vortex illustre bien le fait que la femme qui enfante s’en va vers « un ailleurs » qui lui permet de devenir mère. Emportée dans son vortex, elle entame la traversée de différents états de conscience. Le vortex s’étend de la fin de la grossesse jusqu’à la première tétée du bébé, en 11 étapes. Si vous souhaitez en savoir plus sur cette nouvelle conception de l’enfantement, je vous recommande d’accéder à la formation en ligne de Karine la sage-femme, sage-femme québecoise, qui a très bien repris, traduit et complété cette approche.

Conclusion

Depuis la nuit des temps, les femmes mettent au monde leurs enfants. L’hypermédicalisation est devenu un voile qui masque la compréhension globale de l’enfantement et nous a fait oublier son sens. En tant que professionnel, il est de notre devoir de reconsidérer la naissance, afin de donner aux parents la possibilité de renouer avec leurs compétences innées et de vivre pleinement ce moment. Reconnaissons et encourageons leurs places d’acteurs, afin qu’il puissent ressortir grandis de cette expérience. Finalement, les pistes d’accompagnement proposées dans cet article insistent sur la ré-humanisation de l’accouchement comme recherche constante dans votre dialogue et votre positionnement auprès des familles. En brisant les mythes, en changeant votre façon de l’aborder, de le décrire, de l’expliquer aux couples qui se préparent à une naissance, vous allez leur permettre de se fabriquer une projection plus douce et harmonieuse de ce moment. Nous avions commencé par cela, mais le plus important reste que la femme se fasse confiance, elle ne doit jamais douter qu’elle a tout en elle pour enfanter. Le moment venu, elle ne sera pas seule, les contractions seront ses meilleures amies pour avancer vers la rencontre avec son bébé. Si le projet du couple est que le partenaire se joigne à l’enfantement, nous vous suggérons de l’inclure le plus possible lors des rendez-vous. Le partenaire a son rôle à jouer pour que le vortex de la naissance tourne de manière dynamique et fluide. Pour que la mère puisse s’abandonner, le partenaire ou tout autre personne entourant la femme, doivent eux aussi croire en ses capacités.

L’enfantement reste un moment unique et mystérieux. Il est différent pour chaque femme, à chaque bébé et peut être ponctué d’imprévus. Les femmes n’ont pas besoin de se préparer physiquement à enfanter car il s’agit d’un processus involontaire comme l’est la digestion, l’élimination, le vomissement, ou encore l’éternuement. On ne peut apprendre ni enseigner un processus inné et spontané. Les femmes ont seulement besoin d’entendre qu’elles sont capables de se lancer dans cet inconnu, et elles le font avec davantage de confiance et de détermination quand elles y sont encouragées, quand elles évoluent dans un environnement propice avant et pendant l’enfantement. Elles détiennent sans le savoir les clefs de ce mystère au plus profond de leur corps. Notre rôle est de favoriser cet accès au cœur de leur intimité, quel que soit d’ailleurs le projet des familles concernant la forme de l’accouchement (physiologique ou non).

1. Bien que les taux de médicalisation diffèrent fortement selon les maternités, voici les statistiques dévoilées par la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP) pour 2016 : sur les 785 000 naissances en France, 20,2% ont eu lieu par césarienne, 82 % des femmes ont reçu une anesthésie péridurale et 20 % des femmes enceintes ont subi une épisiotomie.

2. L’accouchement physiologique se déroule dans le respect des « mécanismes universels et fondamentaux de l’organisme, tant physiquement (mobilité du bassin, actions des muscles et leurs interactions, rotation du fœtus…), que chimiquement (les hormones, leur actions physiques et comportementales, leurs interactions…) permettant l’enfantement (Maïtie Trélaün, sage-femme)

Selon le CIANE (Collectif Inter-associatif Autour de la Naissance), un accouchement physiologique « préserve le rythme et le déroulement spontanés du travail, de l’expulsion et de la délivrance, notamment en ne recourant pas aux interventions suivantes : analgésie péridurale, administration d’ocytocine de synthèse, rupture de la poche des eaux, épisiotomie, extraction instrumentale… ».

Ludivine Baubry

sunawang / Pixabay
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